lundi 11 octobre 2021

QVT(1)

On me demande parfois (tout le temps) comment ça se fait que je n’aie encore jamais fait un massacre au bureau. Ou ne serait-ce qu’un ou deux petits meurtres discrets, mais salutaires. Ou disons une paire de gifles, un croc-en-jambe (oui je dis « croc-en-jambe », tu vas faire quoi ?), ou tout autre exutoire à l’agacement, la frustration et l’insondable vacuité de mes journées professionnelles, faites du mépris des petits chefs qu’on appelle maintenant managers parce que l’english touch fait un peu moins pauvre type complexé et revanchard, pétries de l’indifférence des vieux gars ventripotents qui décident entre eux à coups d’after work et de tapes dans le dos de l’avenir de leurs centaines de salariés, saupoudrées de la beaufitude crasse de l’autre con, là, mon nouveau collègue, plus si nouveau maintenant, mais chaque jour l’incommensurable profondeur de sa bêtise me surprend et je continue de découvrir avec un effarement teinté d’admiration l’étendue infinie de sa médiocrité…

Bref. Les gens se demandent souvent pourquoi je n’ai pas déjà, à l’écrit (à l’écrit bien sûr ! Qu’alliez-vous imaginer ?), tué une ou deux ou douze de ces personnes qui, vraiment, mériteraient bien un petit châtiment lent et douloureux… Et je dois bien l’avouer, je me le demande aussi parfois.

Peut-être ai-je peur de m’emmêler entre fiction et réalité et de finir par vraiment écraser le nez de fouine de mon chef dans son écran la prochaine fois qu’au lieu de me répondre il aura ce petit ricanement débile dont il se sert pour éluder les questions comme, par exemple, pourquoi je suis pas augmentée ?

Peut-être qu’au fond je crains de me laisser porter par mon élan littéraire et de transposer dans la vie mon désir profond de fracasser mon laptop(2) sur le crâne de l’horrible bonhomme prétentieux qui se gargarise de sa haute fonction en humiliant à chaque foutue fois qu’il en a l’occasion un, ou le plus souvent une salariée qui aura eu le malheur de simplement se trouver à portée de voix ?

Ou peut-être qu’au fond je ne suis pas à ce point en colère et que je n’éprouve pas tant que ça le besoin de cramer un de ces connards imbus de lui-même qui te prend de haut dès qu’il ouvre la bouche et qui se croit supérieur parce qu’il parle plus fort que toi et te coupe la parole ?

Haha, si. Je hais ces gens et je voudrais les découper en morceaux pour éparpiller leur immense ego aux quatre coins de leur fucking flex-office. Je vais t’en faire, du brainstorming, moi. Au sens propre. La tempête du siècle. Et tes petits post-it multicolores supposés révolutionner le travail collaboratif, bordel, mais tu n’as jamais regardé le frigo d’une daronne ou c’est comment ? Rose, les rendez-vous médicaux. Jaune, les courses. Bleu les anniversaires - y compris celui de ta mère, oui ! Alors tes nouvelles méthodes agiles, hein, tu te les carres où tu sais et tu fiches la paix aux gens qui travaillent, s'il te plaît ! 

Et voilà.

Vous voyez ? On me demande pourquoi je ne tue pas mes collègues dans mes histoires et je finis tout énervée. Normalement c’est le contraire : un truc m’agace, je l’écris en semant un ou deux cadavres et je me sens mieux. Mais là…

Attendez, je reviens.

 

 

Eh bien dites donc.

Un truc de dingue.

Je faisais quelques pas pour me détendre un peu entre les bureaux et là, bim, voilà que malencontreusement je trébuche sur le fauteuil du kéké qui parle super mal à la petite nouvelle. Le gars qui fait toujours des petits gestes de la tête pour faire bouger la mèche ridicule sur son front et des grands gestes avec ses mains pour pas risquer de perdre notre attention quand il parle. Celui qui ne laisse jamais sa collègue ouvrir la bouche en réunion et se contente globalement de répéter ce que tu dis, mais en commençant toutes ses phrases par « non » pour donner l’impression qu’il va dire autre chose et le pire, c’est que ça marche parce qu’il ne fait ça qu’aux femmes et à l’attention des hommes.

Ce gars-là, oui…

J’ai donc perdu l’équilibre en passant près de lui. Des choses qui arrivent. En voulant me retenir j’ai poussé son fauteuil à roulettes, qui est parti à une vitesse étonnante vers la fenêtre. Plus étonnant encore, quand les roulettes du fauteuil ont cogné le rebord, le gars a été projeté tête la première dans la fenêtre. Elle ne s’est pas cassée comme j’aurais imaginé, en volant en mille éclats, mais plutôt « trouée ». Maintenant il a la tête coincée dedans, dès qu’il bouge il se coupe et il hurle comme un cochon qu’on égorge.

Heureusement que sa bouche est à l’extérieur, parce qu’en open-space, t’as vite fait d’empêcher au moins cinquante personnes de bosser en faisant un foin pareil.

Moi, ça va. Je ne suis pas tombée. Et ça m’a bien détendue, cette petite marche.

 

(1) QVT pour « qualité de vie au travail », un truc très à la mode qui consiste à organiser des ateliers « sophro » ou « potager » sur votre lieu de travail pour vous faire oublier qu’on vous a enlevé jusqu’au confort d’un simple fauteuil à vous. Sans parler du bureau. Haha ! Et puis quoi encore ? Des cloisons et une porte tant qu’on y est ?

(2) Un laptop n’est pas une danse sexy dans un club privé mais un petit ordinateur portable. Je le précise parce que moi par exemple… euh… haha, non, je savais, mais au cas où, quoi !

 

 

2 commentaires:

  1. Eh bien voilà, rien de tel que quelques pas (de laptop) pour se décontracter, quitte à en profiter pour créer, par pure inadvertance, quelques dommages collatéraux bien venus !
    Et le goret, il crie toujours ou il a enfin trouvé sa carotide ?

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  2. Je crois que quelqu'un a eu la grande bonté d'âme de finir de briser la vitre pour le libérer. Mais depuis l'extérieur en jetant des cailloux. Ça a brisé quelques os avant la vitre...

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