mercredi 13 octobre 2021

Le vieux fan(e)

Donc le vieux était toujours au taquet.

En fait, je ne savais pas vraiment à quel point il était vieux, alors c’était peut-être tout à fait normal qu’il soit encore bien réactif, mais ça m’avait fait plaisir quand même.

J’avais croisé sa « route numérique » une dizaine d’années plus tôt au hasard d’un atelier d’écriture et il me semble que déjà à l’époque je l’imaginais vieux, sans doute à cause de sa façon de se présenter lui-même, alors dix ans plus tard…

Toujours est-il que, donc, il était non seulement encore bien présent sur la toile, mais en plus toujours fidèle. Je pouvais laisser mon blog en plan pendant des mois, dès que je réécrivais le moindre petit bout de texte il était là, toujours prompt à me laisser un petit mot gentil et drôle qui me donnait immanquablement l’envie de recommencer à écrire plus régulièrement, ne serait-ce que pour lui.

J’ai bien quelques autres lecteurs et lectrices fidèles et enthousiastes, mais je connais la plupart dans la vraie vie et certains sont même de ma famille. Lui non. Du coup il n’était pas obligé de me lire et de faire semblant d’apprécier. Et ce n’était pas non plus un relou qui drague. Ceux-là, normalement, tu ne te fais avoir qu’une fois et en plus, comme j’ai dit, il était quand même vieux, alors je sais que ça n’interdit pas d’être relou, mais disons que l’âge calme parfois certaines ardeurs. Et de toute façon, même vieux, ce n’est pas possible de s’y prendre aussi mal et aussi lentement. Comme s’il avait le temps ! Donc définitivement non, il ne draguait pas du tout. La conclusion logique était donc que j’avais un vrai fan.

En le voyant réapparaître dans les commentaires sur mon blog après ce qui avait encore été une de mes très longues absences de la toile, non seulement ça m’a fait plaisir qu’il soit toujours là, mais en plus je me suis dit que ce serait quand même sympa de finir par le rencontrer.

Les vacances de Toussaint approchaient, j’avais envie de bouger un peu, pas loin, tranquille, et la Belgique m’a semblé être une option intéressante : j’avais quelques personnes à y voir, je ne connaissais ni Bruges ni Bruxelles et à Bruxelles justement, il y avait mon vieux fan. Alors je me suis dit allez, pourquoi pas, si je ne le fais pas maintenant, après, va savoir, il sera peut-être trop tard, alors banco !

Je l’ai contacté, il était partant et on s’est fixé une date pour que j’aille dîner chez lui.

Le hasard de nos agendas a fait qu’on s’est donné rendez-vous pour le soir d’Halloween. J’ai trouvé que ce serait marrant d’arriver déguisée. Quelque chose d’un peu morbide et sanglant serait parfait pour l’occasion, vu que ça me ressemblait assez et qu’il avait l’air de bien aimer… J’ai opté pour quelque chose d’assez simple, à base de vêtements ensanglantés et d’illusion de tête coupée avec force maquillage et fausses chairs pendantes en latex. Franchement ça rendait pas mal du tout.

Malgré ça, malgré mon âge – c’est que je ne rajeunis pas non plus – et malgré un physique dont on n’arrive même plus à imaginer ce qu’il avait bien pu ressembler vingt ans en arrière tellement il a pris cher ces derniers temps, il a fallu qu’un type m’emmerde quand même dans le tramway.

J’avais acheté un bouquet de fleurs et une bouteille de vin pour mes hôtes et je me baladais donc en semi-cadavre. À quel moment un mec peut-il bien imaginer que c’est sans doute le moment idéal pour tenter un truc ? Il s’est dit que je devais avoir du temps à perdre avec un inconnu et que j’y étais tellement disposée que j’avais justement prévu de quoi agrémenter notre rencontre ? Et même si j’avais eu l’air… de rien, vous explosez, les gars, si vous ne venez pas briser les ovaires d’une femme au moins une fois par… par quoi ? Vu le nombre de femmes emmerdées et puisqu’il paraît que #NotAllMen, j’imagine que ça fait une sacrée fréquence pour les harceleurs, hein ?

Bref. Ce n’est pas le sujet. Tout ça pour dire que j’ai carrément passé l’âge de me laisser emmerder dans un tramway, même par un belge, et qu’une chose en entraînant une autre, après une sombre histoire de chute, de rails et de freinage tardif, je me suis retrouvée avec la tête du type dans les mains. Sans savoir exactement où était le reste. Son corps, je veux dire.

Je ne me suis pas posé la question très longtemps. J’étais presque arrivée chez mon super fan et je n’étais pas encore en retard alors j’ai filé et, dans l’ascenseur, en vérifiant mon costume avec toujours cette tête à la main, j’ai essayé un truc en la posant sur mon épaule et franchement, mon effet tête coupée de départ était déjà pas mal, mais alors là l’effet monstre à deux têtes coupées c’était encore mieux.

J’ai sonné et quand la porte s’est ouverte sur mon vieux fan, j’ai essayé de rester un peu impassible le temps qu’il trouve la bonne tête. Il affichait d’abord un grand sourire que le trouble a un peu figé avant qu’une expression dubitative et un peu inquiète ne l’efface totalement. J’ai trouvé que la blague avait assez duré, alors j’ai attrapé l’autre tête par les cheveux en m’exclamant joyeusement « C’est moi, Walrus ! C’est Poupoune ! ».

La tête en se décollant de mon épaule avait fait un gros bruit de succion un peu crado, j’avoue, et une belle quantité de sang en avait coulé à moitié sur moi, moitié sur le paillasson. Je ne sais pas si c’est à cause de ça, mais il a eu un mouvement de recul un peu vif et s’est encoublé dans un petit chien qui couinait dernière lui. 

Je voyais arriver le désastre et comme ce n’est vraiment comme ça que je voulais rencontrer mon plus grand et plus vieux fan, je me suis carapatée sans même attendre de voir comment l’homme et la bête se tireraient de ce mauvais pas. Je me suis dit qu’avec un peu de chance, vu son âge, il aurait tout oublié dès le lendemain.

N'empêche, j’étais quand même un peu déçue. Moi qui pensais qu’il aimait vraiment mon style, vu sa réaction, je suis obligée de me demander si ce n’était pas finalement qu’un de ces vieux pervers lourdingues qui traînent sur internet.

 

Dédicace à mon plus vieux fan… Avec toute mon amitié et ma reconnaissance !

 

 

 

5 commentaires:

  1. Je me disais bien que tu parlais de Walrud. J'aurais tellement sur le cauchemar rejoigne la réalité...

    PS soyons sérieuse la boutanche c'etait quoi ,?

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    1. Des bulles ! Toujours des bulles pour les grandes occasions ! Du coup je me suis consolée en la sifflant toute seule...

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  2. T'aurais pas dû abandonner la tête, je te dis pas celle du concierge quand il l'a découverte dans les poubelles de l'immeuble le lendemain matin !
    En plus, j'ai dû changer de paillasson !

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  3. Ah mince... Tu augmenteras un peu les étrennes du gardien de ma part. Pour le paillasson, je suis presque sûr que ce n'est rien que le bicarbonate de soude ne puisse arranger !

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  4. Du bicar ? Comment t'as deviné que j'ai travaillé chez Solvay ?
    Ah, oui, ce doit être ton côté commissaire Hyckz...

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