mardi 8 octobre 2019

Féminihiliste


Certains ont pu m'entendre, à l'occasion, évoquer avec plus ou moins d'humour ou plus ou moins de conviction, selon les jours et les circonstances, cette séduisante idée d'un monde dont on aurait éradiqué les hommes.
Avec un petit « h », oui. Je parle bien des représentants masculins de l'espèce humaine et non de l’espèce humaine dans son ensemble. D’ailleurs sachez – comme ça il n’y aura plus de doute – que je n’utilise plus, ou alors seulement par accident, la dénomination « Homme » en lieu et place de « humain » pour désigner les hommes et les femmes. Et aux messieurs qui voudraient m’expliquer que c’est bon, tout le monde sait que « Homme avec un grand H » ça inclut les femmes, demandez-vous si vous vous sentiriez inclus si je vous disais que les Femmes naissent libres et égales en droit. Et ne vous donnez pas la peine de répondre, hein, je m’en fous.

Bref.

Il m’arrive, donc, de défendre l’idée selon laquelle le monde ne se porterait pas plus mal si on le débarrassait des hommes et si on élevait la nouvelle génération d’enfants, disons, pour simplifier : à l’abris du patriarcat.
Oui, je sais, not all men, ouin ouin, tout ça, mais ne vous fatiguez pas à me le dire : d’une, ça me donnera encore plus envie de tous vous faire disparaître et, de deux, pour être tout à fait honnête, je n’ai pas la moindre idée de comment mettre cette idée en pratique et je suis, donc, parfaitement inoffensive, alors pas la peine d’essayer de me raisonner.

Évidemment, quand il m’arrive d’envisager ce genre de scénario un peu radical, c’est rarement après une réunion pendant laquelle j’ai pu exposer mon travail, sans qu’un homme me coupe la parole pour répéter exactement ce que je venais de dire, mais avec cette fois l’approbation des autres mâles de l’assistance. Non, ces jours-là je… euh… je ne sais pas. Si ça arrive un jour, je vous expliquerai comment je me sens.

En revanche, quand j’apprends le nième décès d’une nième femme tuée par un énième conjoint après une énième plainte non traitée, j’ai envie de tous vous pendre par les couilles.

Quand j’apprends qu’une nouvelle loi votée par de vieux salopards va limiter d’une manière ou d’une autre l’accès des femmes à l’IVG, j’ai envie d’allumer des grands bûchers pour vous y jeter tous avec vos certitudes et votre supériorité en carton.

Quand je pense à toutes ces femmes, passées, présentes, ici, ailleurs, maltraitées, diminuées, violentées, empêchées, tuées, invisibilisées, violées, harcelées, insultées… oui, j’ai envie de vous exterminer.

Et sans aller chercher trop loin, quand je transmets à ma fille les consignes et bons réflexes à adopter en soirée, dans le métro, dans la rue ou dans toutes les circonstances de la vie où elle se trouvera en présence de mâles susceptibles de lui nuire, non seulement je veux vous exterminer, mais en plus j’ai envie de vous faire souffrir avant. Mais ça c’est parce qu’on n’est pas raisonnable quand on veut protéger ses enfants… Sinon, bien sûr, je sais que ce n’est pas nécessaire de vous torturer d’abord.

Bref.

Je suis en colère.
Pas tout le temps, mais assez souvent.

Chaque fois que vous vous offusquez davantage de la façon dont les femmes expriment leur colère que des raisons de cette colère, sachez que votre interlocutrice, qu’elle ait déjà commencé à vous insulter ou qu’au contraire elle prenne encore sur elle pour s’excuser, ménager votre susceptibilité et modérer son propos, sachez, donc, qu’une part de sa foi en l’humanité vient de s’éteindre en elle, qu’au minimum elle vous méprise et que, plus probablement elle vous imagine en train de vous enfoncer, écrasé par le poids de vos mecsplications, dans un océan de merde.

Chaque fois qu’une femme vous parle de son expérience de femme, quelle qu’elle soit, et que vous l’interrompez pour dire quelque chose qui d’une manière ou d’une autre ressemble à « moi, je… », sachez qu’elle a peut-être l’air de vous écouter poliment, que vous lui trouvez peut-être un air de béate admiration, mais que cette béatitude n’est due qu’à l’image mentale qu’elle se fait de vos testicules dans son nouveau blender.

Chaque fois que vous parlez de la vie brisée des hommes abusivement dénoncés par des femmes, sans jamais être capable d’en citer un seul exemple et sans la moindre considération pour toutes les femmes qui ont souffert ou souffrent encore des mauvais traitements que vous préférez ignorer, sachez que vous nourrissez le rêve d’une vengeance sanguinaire jusque dans l’esprit de la plus frêle et la plus douce des femmes.

Chaque fois qu’un homme prononce la phrase « Oh ! ça va, c’est de l’humour » ou « Alors là, moi, on peut pas me reprocher d’être sexiste, je suis super galant », sachez que quelque part dans le monde, un bébé panda meurt.

Et vous avez remarqué ? Je ne parle même pas des harceleurs, violeurs, tueurs… parce que je ne voudrais pas non plus me laisser submerger par la colère et risquer de me radicaliser.

Bref.

Tout ça pour dire que je suis assez sensible aux questions féministes et assez susceptible de m’agacer quand elles sont bafouées et elles le sont si souvent que je me rends bien compte qu’il peut m’arriver, parfois, de me laisser quelque peu déborder par des émotions un peu vives.

L’autre jour, par exemple, au bureau, je prends l’ascenseur.
Un étage plus bas, un type entre. Comme je suis entrée avant lui dans l’ascenseur, j’étais donc au fond et lui devant la porte. Nous arrivons au rez-de-chaussée, les portes s’ouvrent et là, au lieu de sortir, voilà que le type décide de jouer… quoi, d’ailleurs ? Le gentleman ? Le chevalier servant ? Je ne sais pas, mais toujours est-il qu’il est resté devant la porte, son bras tendu pour empêcher qu’elle se referme, bouchant largement le passage en attendant que, comme je suis une femme, je sorte la première.
Putain, mec ! Si tu barres la moitié du passage et que je ne peux plus sortir sans me frotter, ça n’a rien d’agréable pour personne ! Et dans quel monde tu crois que ça te grandit de ne pas sortir en premier quand c’est toi qui es devant la porte ?
Franchement les gars, si vous prétendez vous montrer agréables auprès des femmes, relisez les deux trois trucs que j’ai cités plus haut qui nous donnent envie de vous crever les yeux et arrêtez de les faire, ce sera déjà super, mais ne nous tenez pas la porte à trois kilomètres en nous obligeant à courir et ne bloquez pas la putain de sortie de l’ascenseur !

C’est vrai, quoi, c’est agaçant.
Là, le type qui attendait donc que je sorte la première de ce fichu ascenseur, c’était peut-être pas un mauvais bougre, dans le fond, mais cette espèce de fierté à se montrer galant alors qu’il n’y a plus personne quand il s’agit de soutenir une femme dans toutes les situations où elle en aurait vraiment besoin, ça m’a mise hors de moi.
Du coup, en sortant, j’ai pris soin de lui écraser le pied, de lui enfoncer le coude dans les côtes tout en m’excusant avec mon plus beau sourire de dinde, avant de l’achever en m’affalant de tout mon poids sur lui en lui broyant au passage les testicules avec mon genou.
Une fois sortie de l’ascenseur, avec le rire de gourdasse que je suppose que les hommes galants imaginent que les femmes doivent avoir, je lui ai dit « Haha ! Merci, mais qu’est-ce qu’il est étroit, cet ascenseur, hein ? » et je suis partie en regardant la porte se refermer sur lui.

Injuste ? Oui, peut-être. C’est pour ça, messieurs, s’il vous plaît, qu’il faut arrêter d’être des trous du cul, arrêter de nous faire chier avec l’écriture inclusive et la longueur de nos jupes, arrêter de croire qu’il y a un gène de la vaisselle et de la couche culotte que vous n’avez pas et arrêter de faire semblant de pas comprendre le problème, parce que tout ce que vous allez gagner c’est qu’on va finir par vraiment s’énerver et l’incident de l’ascenseur risque de se reproduire encore et encore et vous pourrez pas dire qu’on vous avait pas prévenus.






Pour celles et ceux qui s’intéresseraient vraiment au féminisme et qui voudraient de la littérature un peu sérieuse sur le sujet, lisez « Sorcières » de Mona Chollet.
Si vous n’aimez pas lire – ou en complément – écoutez « Pas son genre » de Giulia Foïs.
Si vous préférez les notes de blog, allez voir celui de Crêpe Georgette et si votre truc c’est plutôt les réseaux sociaux, suivez les femmes formidables qui ne lâchent rien avec une constance et une détermination qui forcent le respect sut Twitter.
Enfin, un monde sans hommes ? Je suis loin d'être la seule à y avoir pensé... à regarder !

dimanche 17 février 2019

Le blocage


Ma fille est vraiment une gamine formidable.

Alors oui, non, bien sûr, je ne suis probablement pas parfaitement objective, après tout quelle mère pourrait vraiment l’être, mais ce ne serait pas ma fille que je serais bien obligée quand même d’admettre qu’elle est effectivement formidable.

Et si je mets de côté cette objectivité que je m’efforce de conserver, j’ajouterai qu’en plus d’être intelligente, drôle et gentille, elle est d’une beauté à couper le souffle.
Tout ça pour dire que quand elle m’a montré, sur la photo de classe, le grand dadais dont elle s’est entichée, j’ai cru un instant lui avoir trouvé son premier grand défaut : un vrai goût de chiottes.

Certes, pour une femme adulte, il est quasi-impossible de trouver séduisant un adolescent de quatorze ans, avec ses grands bras tout maigres, ses boutons, sa voix déraillante et son allure d’invertébré… Évidemment, les critères évoluent avec l’âge et je peux admettre que certains défauts rédhibitoires pour une adulte soient acceptables pour une adolescente en quête de son premier amour. Ou au moins de son premier baiser. Et il est vrai aussi que le grand échalas était à peu près le seul à ne pas faire une tête de moins que ma fille. Mais j’étais un peu déçue quand même.

Ma belle et grande fille immortalisée sur ses premières photos d’amoureuse au bras de ce grand machin maigrelet ?

Bien sûr, je n’ai pas fait part de mes réserves à ma fille et l’ai au contraire bombardée de questions sur l’heureux élu : il est sympa ? il est drôle ? il est intelligent ? il est intéressant ?

Il s’est avéré assez vite que pour toute relation, ils n’avaient échangé que quelques mots, assez impersonnels, et ri une fois ou deux à la même blague.

- Ben… va lui parler, non ?
- T’es folle ? J’oserais pas…

On n’en était donc encore qu’aux pré-balbutiements. Pas de panique.

Ce coup de cœur allait pourtant donner le ton des humeurs de ma fille quasiment au quotidien. Les jours où il ne lui adressait pas la parole : méchante humeur le soir. Les jours où il lui parlait : la fête à la maison. Les jours où il se montrait désagréable… alors là… drame, pleurs, cris, insultes et tout ce qui peut pimenter une bonne soirée mère-fille quand la mère voudrait que les devoirs soient faits et la fille voudrait mourir plutôt que de retourner un jour au collège parce que personne m’aimera jamais je vais finir toute seule la vie c’est de la merde je veux pas finir comme toi (prends ça en passant)…

Bref. Ce grand couillon disgracieux faisait, probablement sans le savoir, la pluie et le beau temps sur nos soirées.

Jusqu’au jour où il a bloqué ma petite fille chérie.

« Bloqué » au sens jeune sur instagram du terme, c’est-à-dire qu’il empêchait ma fille de lui envoyer des messages et de voir ce qu’il publiait. Alors que vraiment c’est toujours tellement intéressant les publications d’un ado même pas rebelle sur instagram… Mais là n’est pas le propos : ce blocage a fait énormément de peine à mon bébé.

J’ai donc mené mon enquête :

- Vous vous êtes disputés ?
- On se parle pas !
- Tu as fait quoi que ce soit qu’il aurait pu mal prendre ?
- Non !

Enquête terminée : le grand escogriffe s’avérait n’être qu’un petit con désireux de se prendre pour un dur en usant d’un pauvre clic de faux-derche pour broyer le cœur d’une innocente enfant dont le seul tort était d’être beaucoup trop bien pour lui. (Là, le manque d’objectivité de la mère que je suis s’exprime peut-être un tout petit peu).

Ne mesurant pas forcément la gravité d’un blocage instagram, j’ai d’abord essayé de pointer la futilité de la chose, puis la possible erreur de manipulation, puis le simple désintérêt que devrait simplement susciter cet affront, mais c’était manifestement bien trop sérieux pour la rationalité ou la relativité.

Ma formidable petite fille était tout à la fois en rage et désespérée et sa totale incompréhension face à ce rejet ne faisait qu’aggraver encore son état.

Alors j’ai fait ce que toute bonne mère aurait fait à ma place : j’ai pourri le garçon. J’ai tout attaqué. Son physique, son comportement, sa bêtise, son look, même ses copains, tout. Je l’ai démonté.

Est-ce que j’en suis fière ? Bof… c’était un peu facile, certes, mais où est le mal ? Le gamin n’était pas là pour m’entendre, je ne l’ai pas humilié au milieu de la cour devant ses potes…

Ai-je vraiment dit qu’un gamin comme lui mériterait qu’on lui pète les dents pour lui faire ravaler son sourire de tombeur de cour d’école ? Qu’il mériterait qu’on lui crève les yeux pour l’empêcher de profiter de la formidable beauté de ma fille ? Peut-être, oui. Peut-être.

Avais-je bien mesuré la colère de ma fille quand je lui ai dit ça ?

Apparemment pas, non. Sa force non plus, manifestement.

Et je suis désolée pour ce grand borgne édenté, mais qu’est-ce qui lui a pris, aussi, à ce crétin, de la bloquer sur instagram, hein ?