jeudi 30 avril 2020

Confinée, libérée


Putain de confinement.
Enfin, non, d’ailleurs. Le confinement n’y est pas pour grand-chose. Objectivement, c’est plutôt ma faute. Non, c’est la sienne, évidemment, bien plus que la mienne, mais au fond, pour ce que ça change…

Le premier confinement, je l’avais très bien vécu. Je n’ai pas de problème avec la solitude, je ne redoute pas du tout l’ennui, j’arrive à maintenir avec mes proches un contact qui, même à distance, peut me suffire et je peux travailler chez moi sans problème alors oui, le confinement, je le vis bien. C’est plutôt le retour à la vie normale qui m’a fait dérailler… cette espèce d’euphorie à l’idée de retourner se faire chier au bureau, de recommencer à claquer un fric monstre dans des kilos de fringues inutiles, de refaire exactement tout comme avant, mais en pire, en ayant peur de tout le monde dans le métro, en détestant encore plus qu’avant l’open-space et le flex-office (de toute façon, les anglicismes dans le monde de l’entreprise n’augurent jamais rien de bon), en se retrouvant plus ou moins obligé d’accepter des conditions de travail dégradées, en mesurant avec chaque jour plus d’amertume le fossé entre les rêves de changements nourris pendant le confinement pour construire le monde d’après et le résultat, le retour brutal dans le monde d’avant encore plus dégueulasse, plus déprimant, plus masculin, aussi…

C’est le seul truc que, comme la plupart des femmes, j’ai vraiment mal vécu pendant ce confinement : le retour des femmes dans l’ombre du foyer et du travail gratuit, pendant que ces messieurs squattaient les comités de direction, les plateaux télé, les unes des journaux et la quasi-totalité de la parole publique.
Faut dire que leurs femmes n’ont pas trop trouvé le temps, elle, avec leur triple journée – travail, tâches domestiques et école à la maison...

Alors oui, ce retour à la vie normale m’a beaucoup affectée. La conscience de ce qui risquait d’arriver après, dans le confort relatif de mon propre confinement, j’arrivais à en faire plus ou moins abstraction, mais une fois dehors, impossible de regarder ailleurs ou d’ignorer les faits : le monde était encore plus merdique qu’avant. Tout recommençait comme si cette catastrophe ne nous avait pas prouvé que c’était insensé de persister dans la même voie. Tout recommençait avec une plus grande intensité, comme si les profiteurs de ce système dégueulasse avaient quand même compris que ça ne durerait peut-être pas toujours et voulaient en tirer le maximum avant l’effondrement définitif – qu’ils préféraient précipiter, donc… allez comprendre ce qui se passe dans la tête de ces gens…

Du coup, l’annonce du re-confinement, elle aussi accélérée par cette frénésie épouvantable de vouloir à tout prix urgemment relancer la machine, était plutôt une bonne nouvelle, d’une certaine manière. Du moins, elle aurait dû, pour moi, être une bonne nouvelle, si je n’avais pas autant déconné.

J’ai beau essayer de comprendre ce qui m’a pris, je ne me l’explique toujours pas. Des années que j’avais décidé de ne plus jamais m’encombrer d’un mec. Des années que quasiment chaque jour j’avais une bonne raison de me féliciter de cette décision. Des années à tendre petit à petit d’un raisonnable « not all men » de féministe débutante à un plus radical « ah mais si en fait », à mesure que j’observais les situations, entendais les témoignages, lisais les chiffres, identifiais les comportements problématiques et mesurais l’ampleur catastrophique du problème.

Des années.

Des années à supporter les « mais si tu verras un jour toi aussi tu rencontreras l’homme de ta vie », alors que je ne voulais ni d’un bonhomme dans ma vie, ni de cette espèce de pitié gênante de la part de gens, qui franchement, me paraissaient souvent bien plus pitoyables que moi…
Des années à me conforter progressivement dans ma position de célibataire volontaire et très heureuse de l’être. Des années.
Des années, et à peine quelques jours d’une sortie de crise effrayante pour tout foutre en l’air.

Vraiment, je ne sais pas ce qui m’a pris. Au détour d’un échange courtois somme toute assez anodin chez le primeur, je me suis mise à rouler des yeux et à minauder comme si j’avais quinze ans, alors que le mec n’était même pas vraiment beau, juste un peu sympathique, et de fil en aiguille… comme je l’ai dit, ce retour au monde d’avant m’avait vraiment secouée. J’avais espéré très fort un vrai renouveau, alors peut-être que j’ai voulu y croire ne serait-ce que pour ma sexualité, je ne sais pas, toujours est-il que ça s’est fini chez moi.

Jusque-là, rien de très grave. Au contraire. C’était le week-end, on a passé deux jours coupés du monde à faire du sexe, de la bouffe et dormir, c’était plutôt une bonne façon de se consoler de ce fichu retour à la normale… Sauf qu’on a raté l’annonce du re-confinement. On en a rigolé, il a déclaré « haha ! ben me voilà coincé ici » en s’installant sur mon canapé avec ma télécommande et… ça m’a pris un moment avant de comprendre qu’il ne comptait vraiment pas partir.

Je ne sais pas comment il a réussi à m’embrouiller, mais j’ai fini par accepter qu’il reste confiné chez moi. Quelle erreur ! Je ne sais pas comment m’en débarrasser maintenant… Dès qu’il a fallu prendre le rythme du boulot, ça a commencé à mal tourner. Lui ne travaillait pas, mais ne faisait pas non plus les courses ou la bouffe pour ne pas, je cite, « perturber mes habitudes chez moi ». Il ne respectait pas non plus mon télétravail et me sollicitait énormément – essentiellement pour du sexe, mais également pour laver ses fringues – pendant mes heures de travail. Son hygiène a très vite laissé à désirer, mais c’est mon poil aux pattes qui était dégueulasse. Le fait que je ne mette pas de soutien-gorge pour travailler (depuis mon salon, donc) était le comble du laisser-aller, alors que lui n’a pas eu de contact avec une brosse à dents pendant tout ce temps.

Bref. Il y avait un homme chez moi.

J’aurais dû le virer tout de suite. J’ai voulu croire que ce serait peut-être plus marrant à deux, que ça ne durerait pas très longtemps, qu’après tout, les choses avaient changé, que les hommes étaient moins cons… Comment je vais m’en débarrasser, maintenant ?

Il n’a pas mis longtemps à m’horripiler et à me dégoûter. Je n’ai pas mis longtemps à lui dire que s’il n’était pas foutu de faire cuire un steak et de se laver il était prié de fermer sa gueule et de ne pas m’approcher. Ça l’a fait réagir. Il a pris une douche et entrepris de préparer le repas. J’ai repris un peu espoir. Il m’a foutu la paix toute la journée. Je m’attendais à un festin avec un beau gosse pour le dîner.

Je suis passée à la salle de bain histoire de me faire belle aussi. Le tapis était trempé. La serviette de toilette qu’il avait utilisée, c’est-à-dire ma serviette de toilette, pas celle que j’avais sortie pour lui, était en boule par terre. À côté de ses chaussettes sales, elles-mêmes à côté du panier à linge. Pas dedans. À côté. Et le lavabo était plein de poils. J’avais cru rencontrer un homme avec qui faire un petit bout de chemin, j’hébergeais en fait un adolescent cradingue. Je n’ai pas voulu me transformer en maman fatiguée tout de suite, j’ai voulu laisser une chance à son dîner d’abord, alors je suis allée le rejoindre à la cuisine.

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas exactement une folle du ménage. J’ai même un assez haut niveau de tolérance à la négligence ménagère. Mais la frontière entre négligence et foutage de gueule n’est pas mince et il l’avait pourtant franchie. Non seulement la cuisine était absolument dégueulasse, mais en plus, d’après l’assiette sale devant lui, il avait déjà mangé. En voyant ma tête, il m’a montré la cuisinière en disant qu’il avait gardé ma part au chaud.

Une croûte de pâtes brulée aux deux tiers de sa hauteur semblait avoir fusionné avec la casserole, elle-même à moitié collée à la plaque de cuisson par le sachet vide qui fondait tranquillement. Un steak racorni faisait pitié à voir au milieu d’une couche de gras brûlé qui couvrait le fond de la poêle et avait allègrement giclé jusque très haut sur le mur. L’emballage des steaks était par terre et avait laissé dans sa chute une longue traînée de sang en train de sécher sur le placard blanc. Je n’ai pas poussé plus loin l’état des lieux. J’ai décollé la casserole et lui en ai montré le fond en annonçant que bien entendu, c’est lui qui ferait la vaisselle. Je ne le jurerais pas, mais je suis presque sûre qu’il a mis la main dans son froc pour me répondre que pour ça, j’aurais intérêt à être drôlement gentille au lit. Il s’est abstenu de ponctuer ça d’une main au cul. Un bon point pour lui. Il n’en a peut-être pas eu le temps.

Dès qu’il a ouvert la bouche pour répondre, j’ai bien vu à son air rigolard que ça n’allait pas être la bonne réponse et, instantanément, tout l’agacement, le dégoût et la colère qu’il m’inspirait, mais aussi toute ma rage accumulée en dix ans de prise de conscience progressive de ce que les hommes font aux femmes ont pris le dessus sur mon sens habituel de la mesure. J’ai levé la main pour le gifler. Je tenais toujours la casserole. Le choc a été si violent que même le rebond de sa tête dans le mur derrière lui aurait pu suffire à le tuer.

Son sang s’est mêlé à celui du steak sur la porte de mon placard. Il était mort avant de s’affaler au sol.

C’est finalement moi qui ai fait la vaisselle et nettoyé le merdier. Évidemment. Mais je ne sais toujours pas comment je vais me débarrasser de lui maintenant.   


mardi 28 avril 2020

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