Ma fille grandit. Évidemment.
Comme le dit le poète : « Mais bien sûr que je grandis que veux-tu que
j’fasse d’autre ? / évidemment qu’je grandis j’vais pas r’dev’nir petit ! »
(*)
Ne cherchez pas, non : si vous n’avez
pas d’enfants âgés de moins de seize ans, il est probable que vous ne connaissiez
pas. Mais ça confirme que ma fille a bien grandi, en tout cas, vu qu’elle a
probablement déjà oublié qu’elle avait aimé cette chanson un jour.
Tout ça pour dire que, puisqu’elle grandit, elle
gagne bien sûr en autonomie et en maturité. Bon : une autonomie qui ne s’étend
quand même pas à la cuisine ou à la lessive et une maturité qui n’inclut pas du
tout la conscience aigüe de la nécessité de faire ses devoirs et de ranger sa
chambre, mais disons qu’elle a une autonomie suffisante pour aller seule aux
toilettes si je ne suis pas là et la maturité nécessaire pour savoir qu’on ne
joue pas à mettre les doigts dans les prises de courant. Ce qui n’est déjà pas
si mal.
Autant de qualités qui, immanquablement, m’ont
amenée à la laisser seule à la maison. D’abord le temps d’aller chercher le
courrier, puis le pain, puis… je vous passe la longue et, il est vrai, assez
peu intéressante liste des étapes par lesquelles nous sommes passées pour en
arriver à ce jour où je l’ai finalement laissée seule à la maison pour sortir…
le soir.
C’est très différent de la journée, le soir.
Le soir, il fait noir et le noir, ça fout la frousse. Aux enfants. Et même aux pré-ados.
À ceux qui restent seuls à la maison pour la première fois, en tout cas. Alors
bien sûr, même si j’avais confiance et tout, je n’étais pas super sereine quand
même et je n’ai pas attendu très longtemps avant d’envoyer un sms à ma fille
chérie :
Tout
va bien ? *smiley mignon* qui montre que maman s’intéresse – pas *smiley
bleu de peur* qui montre que maman flippe.
Réponse rapide de fifille chérie :
Oui
*smiley pouce en l’air*
Y a
juste un peu le feu dans la cuisine *pas de smiley*
Bon. Quand on connaît ma fille, on peut
facilement imaginer qu’il s’agit d’une blague. Mais quand on est sa mère et qu’on
n’est pas là et qu’il fait nuit et qu’on s’inquiète, pendant un moment, on
doute.
Elle a fait durer le moment exactement huit
minutes, avant d’envoyer un nouveau message laconique :
lol
Même si je n’étais pas véritablement paniquée,
le soulagement a sans doute contribué à ce que je ne lui envoie pas directement
les pompiers pour qu’elle leur explique son sens de l’humour et je me suis même
fendue d’une réponse *smiley qui rigole
en tirant la langue*.
Je suis assez cool, comme mère.
La deuxième fois que je l’ai laissée seule le
soir, à ma question :
Ça va ?
Elle a répondu :
Oui
La
télé a explosé mais tkt je gère
Et quelques minutes plus tard :
*smiley
qui pleure de rire*
J’ai eu droit au même genre de blague… un
certain nombre de fois.
Évidemment, à force, je m’y attendais, mais
les mères angoissées sont ainsi faites qu’elles ne peuvent totalement contenir
leur inquiétude tant que le *smiley qui
rit* ou le *loooool* ne sont pas
venus confirmer que la blague était bien une blague. Et puis y a cette
histoire, là, vous savez, du gamin qui criait au loup…
J’ai eu beau expliquer à fifille chérie qu’on
avait bien ri, mais que maintenant elle n’était peut-être plus obligée de me
refaire rire à chaque fois, elle a persisté.
Alors un jour où elle avait sans doute dû m’agacer
– parce que sans ça, comme je l’ai déjà précisé, je suis assez cool, comme mère
– j’ai eu envie de lui donner une petite leçon. Je suis sortie en lui faisant
mes consignes habituelles (auxquelles j’avais depuis quelque temps déjà intégré
l’injonction de ne pas faire la blague de l’incendie) et, avant de partir, pour
qu’elle comprenne une bonne fois pour toute que la question était sérieuse, j’ai
allumé une bougie sous le rideau du salon.
Après coup, je me rends compte que la leçon
aurait probablement été plus efficace si elle avait survécu.
(*) « Bien sûr que je grandis » de
Zut, un groupe que je conseille à toutes les petites oreilles à partir de 3-4
ans.