L’autre jour, ma fille est rentrée de l’école en me
disant que des garçons s’amusaient à leur toucher les fesses, à elle et sa
copine.
Je pense qu’en un quart de seconde, une vague de colère
sourde m’a totalement submergée. Non pas que j’aie été outrée par le geste et
scandalisée qu’il ait pu porter atteinte à la petite personne et au rondelet
fessier de MON bébé, il faut bien que jeunesse se passe et que les enfants…
soient des enfants et fassent leur apprentissage de la vie, mais la féministe
qui sommeille (de moins en moins) et grandit (à une vitesse folle) en moi s’est
instantanément réveillée pour s’offusquer que le B.A.BA du machisme ordinaire
et tellement préjudiciable aux filles fasse si tôt son entrée dans la vie des
enfants.
Je suis restée zen, au moins en apparence, pour
approfondir la question et voir s’il s’agissait d’un jeu innocent et de gamins
qui leur tapaient sur les fesses comme ils auraient pu leur donner des tapes
sur la joue, ou s’il s’agissait vraiment de gestes déplacés. Et c’était sans
équivoque. Ma fille et sa copine les interprétaient bel et bien comme des
atteintes à leur intimité, ce qui est suffisant pour les rendre inacceptables.
J’ai donc laissé ma colère s’exprimer. Calmement, mais clairement.
- Ma chérie, tu ne dois pas laisser qui que ce soit te
faire des choses comme ça, tu dois réagir immédiatement. S’ils recommencent,
dis-le tout de suite à la maîtresse !
- Oh ben non ! Je vais pas dire ça à la maîtresse !
- Pourquoi ?
- Je peux pas lui dire « fesses » ! Et
puis c’est mon intimité…
- C’est bien pour ça que personne n’a le droit d’y
mettre les mains… Tu comprends, ça ?
- Oui… mais je veux pas le dire à la maitresse…
- Alors je t’autorise à leur toucher le zizi la
prochaine fois qu’ils te touchent les fesses.
- Beurk !
- Bon… dans ce cas tu as le droit de mettre une baffe
au prochain qui fait ça.
Alors vous me direz qu’il n’y a pas mort d’homme.
Certes. Ni de femme, il est vrai. Mais quel genre de femme une enfant
devient-elle si elle n’a pas très tôt l’assurance que son corps lui appartient
et que personne – et surtout pas les petits branleurs de cour d’école – n’a le
droit d’en disposer sans son consentement ? Si ça commence par une main au
cul en primaire, il se passera quoi, au collège, si elle n’apprend pas très tôt
à protéger son corps et préserver son intimité ? Et après ?
Oui, je suis très sensible sur le sujet et très
soucieuse d’élever ma fille dans la certitude qu’elle est l’égale des garçons
et, à tort ou à raison, je pense que ça commence par la certitude que personne
n’a à disposer de son corps sous prétexte qu’elle est moins costaude ou qu’elle
a les seins qui poussent. Et oui, il est possible que j’aie un peu fait tout un
plat de cette histoire de mains aux fesses, mais ça me semblait important.
Et puis un jour, ma fille est rentrée toute contente :
- Ma copine a trouvé la solution ! Maintenant on
se met en rang derrière tout le monde, comme ça ils peuvent plus nous toucher
les fesses !
Je crois que ça m’a mise encore plus en colère que la
première fois.
- Ma chérie… Entre se mettre en rang où on veut et
toucher les fesses des filles, quel est le comportement anormal ?
- Ben toucher les fesses !
- Exact. Alors quel est le comportement qui doit
changer ?
- Toucher les fesses ?
- Ben oui ! Si on apprend aux garçons qu’une fille
qui ne veut pas qu’on lui touche les fesses va changer ses habitudes et se
mettre en rang derrière, ils vont se dire que les filles qui ne vont pas
derrière veulent bien qu’on leur touche les fesses… Alors il ne faut pas
changer vos habitudes si vos habitudes sont normales ! C’est à eux à
comprendre que ce qu’ils font n’est pas bien et qu’ils doivent arrêter, quitte
à leur coller des baffes dix fois par jours pour que ça finisse par rentrer !
- Ah…
- Mais oui ! C’est comme les jupes… Tiens, oui, y
avait eu ça déjà… Tu ne veux plus mettre de jupes parce que quand tu en mets une
y a toujours un petit rigolo pour la soulever… alors que c’est quoi, le
comportement normal ? Mettre une jupe parce qu’on est une fille et qu’on
aime bien les jupes, ou soulever les jupes des filles parce qu’on est un garçon
et qu’on trouve ça malin ?
- Mettre des jupes…
- Évidemment !
Et quel est le comportement qui doit changer ?
- Celui des garçons qui soulèvent les jupes…
- Voilà ! Alors avec ta copine, vous continuez de
faire comme d’habitude et si les garçons continuent malgré vos baffes, c’est
moi qui irai leur expliquer pourquoi on ne touche pas les fesses des filles, d’accord ?
Ma gamine est repartie à l’école gonflée à bloc, prête
à en découdre avec tous les petits cons qui s’aviseraient de lui coller une
main aux fesses. J’étais fière d’elle et, j’avoue, pas mécontente qu’elle et sa
copine soient les deux gamines les plus grandes et les plus fortes de la
classe, parce qu’on a beau dire, ça favorise quand même largement la juste
indignation et la réponse aux agressions quand tu as physiquement du répondant
et que tu n’es pas une micro-puce face à deux-trois mectons de deux têtes de
plus que toi… J’ai même un court instant pensé que les petits cons incriminés
avaient au moins eu l’élégance de ne pas s’en prendre à de petites choses
chétives et faciles à dominer, avant de me rendre compte qu’en fait, ils s’en
étaient surtout pris aux deux seules gamines de l’école qui commençaient à
avoir les seins qui poussent et j’ai instantanément regretté de ne pas avoir conseillé à ma fille
de leur broyer les couilles à coups de pieds… Mais l’option baffe était sans
doute plus appropriée dans une cour d’école (et dans un premier temps) et, aux
dernières nouvelles, la main au cul valait trois baffes, avant que les vacances
n’imposent une trêve.
Et c’est pendant lesdites vacances que je suis sortie
dîner chez des amis. Je savais que je rentrerais seule et assez tard dans la
nuit. Et qu’est-ce que j’ai fait ? Bien que n’étant plus ni jeune ni jolie,
j’ai choisi une tenue qui ne comprenait ni jupe ni décolleté trop plongeant, parce
qu’encore assez récemment, malgré ma sortie, depuis des années et des kilos, du
cœur de cible du prédateur lambda, j’ai réussi à me faire emmerder dans le
métro par un connard, profitant de sa position de force (mâle dominant – par la
taille et la carrure) pour me mettre méchamment mal à l’aise…
Pourtant, entre se faire jolie pour aller chez des amis
et emmerder une femme seule un peu apprêtée dans le métro, c’est quoi le comportement
anormal, hein ?
En plus, sur le chemin du retour, j’étais un peu éméchée
et, au lieu de profiter gentiment de cette légère ébriété pour ne pas voir le
trajet passer, je n’ai quasiment pas cessé de me dire « concentre-toi pour
avoir l’air sobre sinon tu vas te faire emmerder ».
Et là, j’ai repensé à ma belle leçon à ma fille sur l’importance
de ne pas laisser les comportements déplacés des petits cons de sa classe lui
faire changer ses habitudes et j’ai eu honte de moi, pelotonnée dans un coin du
métro, les bras croisés haut sur ma poitrine pour tenir ma veste serrée sur mon
décolleté alors que je crevais de chaud, dans une attitude faussement sérieuse
et concentrée sur mon livre pour faire croire que je n’étais pas du tout ivre
alors que je relisais pour la vingtième fois la même phrase sans la comprendre…
Ma fille n’était pas avec moi, mais je voyais son regard plein d’incompréhension
et de déception posé sur moi et si j’avais pu disparaître dans le siège du
métro pour me dérober à sa vue, je l’aurais fait. Mon comportement était l’exact
opposé des grands principes que je défendais avec véhémence et c’était
inacceptable.
Alors j’ai viré ma veste, défait deux boutons de mon
chemisier parce que j’ai la chance d’avoir un joli décolleté et qu’il n’y a pas
de raisons que je ne me montre pas sous mon meilleur jour, rangé le livre dont
de toute façon je n’étais pas en état de comprendre grand-chose et je me suis
levée pour me tenir bien en évidence debout au milieu de la rame, plutôt que
cachée dans un coin comme la chose craintive qu’il était hors de question que
je sois.
Et il ne s’est rien passé.
Que dalle.
Pas un mot, pas un geste, pas un regard qu’il ait été
possible d’interpréter comme déplacé alors que j’étais prête comme jamais à
donner une belle leçon de féminisme au premier qui s’y risquerait.
Je ne sais pas trop ce qui s’est passé… je devais être
un peu déçue, peut-être, et beaucoup alcoolisée, sans doute… Quoi qu’il en
soit, en arrivant à ma station, je m’en suis prise aux quelques mecs qui
étaient là en braillant :
- Et c’est quoi, le problème, hein ? Dès qu’on
passe les vingt ans et qu’on a le cul moins ferme ça vous intéresse plus, c’est
ça ? Bande de porcs va ! Vous êtes vraiment tous que des gros
vicelards dégénérés, mais moi je vous emmeeeeerde !
Et sur ce dernier bon mot j’ai vomi ma vinasse sur le
quai (et sur mes chaussures neuves).
Ça
tombait décidément assez bien que ma fille ne soit pas là et je pense que je
vais continuer d’être féministe en théorie, mais laisser la pratique à la jeune
génération qui semble s’en sortir pas trop mal dans la cour d’école.
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