samedi 25 octobre 2014

Touche pas à mon post...

L’autre jour, ma fille est rentrée de l’école en me disant que des garçons s’amusaient à leur toucher les fesses, à elle et sa copine.
Je pense qu’en un quart de seconde, une vague de colère sourde m’a totalement submergée. Non pas que j’aie été outrée par le geste et scandalisée qu’il ait pu porter atteinte à la petite personne et au rondelet fessier de MON bébé, il faut bien que jeunesse se passe et que les enfants… soient des enfants et fassent leur apprentissage de la vie, mais la féministe qui sommeille (de moins en moins) et grandit (à une vitesse folle) en moi s’est instantanément réveillée pour s’offusquer que le B.A.BA du machisme ordinaire et tellement préjudiciable aux filles fasse si tôt son entrée dans la vie des enfants.
Je suis restée zen, au moins en apparence, pour approfondir la question et voir s’il s’agissait d’un jeu innocent et de gamins qui leur tapaient sur les fesses comme ils auraient pu leur donner des tapes sur la joue, ou s’il s’agissait vraiment de gestes déplacés. Et c’était sans équivoque. Ma fille et sa copine les interprétaient bel et bien comme des atteintes à leur intimité, ce qui est suffisant pour les rendre inacceptables. J’ai donc laissé ma colère s’exprimer. Calmement, mais clairement.
- Ma chérie, tu ne dois pas laisser qui que ce soit te faire des choses comme ça, tu dois réagir immédiatement. S’ils recommencent, dis-le tout de suite à la maîtresse !
- Oh ben non ! Je vais pas dire ça à la maîtresse !
- Pourquoi ?
- Je peux pas lui dire « fesses » ! Et puis c’est mon intimité…
- C’est bien pour ça que personne n’a le droit d’y mettre les mains… Tu comprends, ça ?
- Oui… mais je veux pas le dire à la maitresse…
- Alors je t’autorise à leur toucher le zizi la prochaine fois qu’ils te touchent les fesses.
- Beurk !
- Bon… dans ce cas tu as le droit de mettre une baffe au prochain qui fait ça.
 
Alors vous me direz qu’il n’y a pas mort d’homme. Certes. Ni de femme, il est vrai. Mais quel genre de femme une enfant devient-elle si elle n’a pas très tôt l’assurance que son corps lui appartient et que personne – et surtout pas les petits branleurs de cour d’école – n’a le droit d’en disposer sans son consentement ? Si ça commence par une main au cul en primaire, il se passera quoi, au collège, si elle n’apprend pas très tôt à protéger son corps et préserver son intimité ? Et après ?
Oui, je suis très sensible sur le sujet et très soucieuse d’élever ma fille dans la certitude qu’elle est l’égale des garçons et, à tort ou à raison, je pense que ça commence par la certitude que personne n’a à disposer de son corps sous prétexte qu’elle est moins costaude ou qu’elle a les seins qui poussent. Et oui, il est possible que j’aie un peu fait tout un plat de cette histoire de mains aux fesses, mais ça me semblait important.
 
Et puis un jour, ma fille est rentrée toute contente :
- Ma copine a trouvé la solution ! Maintenant on se met en rang derrière tout le monde, comme ça ils peuvent plus nous toucher les fesses !
Je crois que ça m’a mise encore plus en colère que la première fois.
- Ma chérie… Entre se mettre en rang où on veut et toucher les fesses des filles, quel est le comportement anormal ?
- Ben toucher les fesses !
- Exact. Alors quel est le comportement qui doit changer ?
- Toucher les fesses ?
- Ben oui ! Si on apprend aux garçons qu’une fille qui ne veut pas qu’on lui touche les fesses va changer ses habitudes et se mettre en rang derrière, ils vont se dire que les filles qui ne vont pas derrière veulent bien qu’on leur touche les fesses… Alors il ne faut pas changer vos habitudes si vos habitudes sont normales ! C’est à eux à comprendre que ce qu’ils font n’est pas bien et qu’ils doivent arrêter, quitte à leur coller des baffes dix fois par jours pour que ça finisse par rentrer !
- Ah…
- Mais oui ! C’est comme les jupes… Tiens, oui, y avait eu ça déjà… Tu ne veux plus mettre de jupes parce que quand tu en mets une y a toujours un petit rigolo pour la soulever… alors que c’est quoi, le comportement normal ? Mettre une jupe parce qu’on est une fille et qu’on aime bien les jupes, ou soulever les jupes des filles parce qu’on est un garçon et qu’on trouve ça malin ?
- Mettre des jupes…
- Évidemment ! Et quel est le comportement qui doit changer ?
- Celui des garçons qui soulèvent les jupes…
- Voilà ! Alors avec ta copine, vous continuez de faire comme d’habitude et si les garçons continuent malgré vos baffes, c’est moi qui irai leur expliquer pourquoi on ne touche pas les fesses des filles, d’accord ?
 
Ma gamine est repartie à l’école gonflée à bloc, prête à en découdre avec tous les petits cons qui s’aviseraient de lui coller une main aux fesses. J’étais fière d’elle et, j’avoue, pas mécontente qu’elle et sa copine soient les deux gamines les plus grandes et les plus fortes de la classe, parce qu’on a beau dire, ça favorise quand même largement la juste indignation et la réponse aux agressions quand tu as physiquement du répondant et que tu n’es pas une micro-puce face à deux-trois mectons de deux têtes de plus que toi… J’ai même un court instant pensé que les petits cons incriminés avaient au moins eu l’élégance de ne pas s’en prendre à de petites choses chétives et faciles à dominer, avant de me rendre compte qu’en fait, ils s’en étaient surtout pris aux deux seules gamines de l’école qui commençaient à avoir les seins qui poussent et j’ai instantanément  regretté de ne pas avoir conseillé à ma fille de leur broyer les couilles à coups de pieds… Mais l’option baffe était sans doute plus appropriée dans une cour d’école (et dans un premier temps) et, aux dernières nouvelles, la main au cul valait trois baffes, avant que les vacances n’imposent une trêve.
 
Et c’est pendant lesdites vacances que je suis sortie dîner chez des amis. Je savais que je rentrerais seule et assez tard dans la nuit. Et qu’est-ce que j’ai fait ? Bien que n’étant plus ni jeune ni jolie, j’ai choisi une tenue qui ne comprenait ni jupe ni décolleté trop plongeant, parce qu’encore assez récemment, malgré ma sortie, depuis des années et des kilos, du cœur de cible du prédateur lambda, j’ai réussi à me faire emmerder dans le métro par un connard, profitant de sa position de force (mâle dominant – par la taille et la carrure) pour me mettre méchamment mal à l’aise…
Pourtant, entre se faire jolie pour aller chez des amis et emmerder une femme seule un peu apprêtée dans le métro, c’est quoi le comportement anormal, hein ?
En plus, sur le chemin du retour, j’étais un peu éméchée et, au lieu de profiter gentiment de cette légère ébriété pour ne pas voir le trajet passer, je n’ai quasiment pas cessé de me dire « concentre-toi pour avoir l’air sobre sinon tu vas te faire emmerder ».
Et là, j’ai repensé à ma belle leçon à ma fille sur l’importance de ne pas laisser les comportements déplacés des petits cons de sa classe lui faire changer ses habitudes et j’ai eu honte de moi, pelotonnée dans un coin du métro, les bras croisés haut sur ma poitrine pour tenir ma veste serrée sur mon décolleté alors que je crevais de chaud, dans une attitude faussement sérieuse et concentrée sur mon livre pour faire croire que je n’étais pas du tout ivre alors que je relisais pour la vingtième fois la même phrase sans la comprendre… Ma fille n’était pas avec moi, mais je voyais son regard plein d’incompréhension et de déception posé sur moi et si j’avais pu disparaître dans le siège du métro pour me dérober à sa vue, je l’aurais fait. Mon comportement était l’exact opposé des grands principes que je défendais avec véhémence et c’était inacceptable.
Alors j’ai viré ma veste, défait deux boutons de mon chemisier parce que j’ai la chance d’avoir un joli décolleté et qu’il n’y a pas de raisons que je ne me montre pas sous mon meilleur jour, rangé le livre dont de toute façon je n’étais pas en état de comprendre grand-chose et je me suis levée pour me tenir bien en évidence debout au milieu de la rame, plutôt que cachée dans un coin comme la chose craintive qu’il était hors de question que je sois.
Et il ne s’est rien passé.
Que dalle.
Pas un mot, pas un geste, pas un regard qu’il ait été possible d’interpréter comme déplacé alors que j’étais prête comme jamais à donner une belle leçon de féminisme au premier qui s’y risquerait.
Je ne sais pas trop ce qui s’est passé… je devais être un peu déçue, peut-être, et beaucoup alcoolisée, sans doute… Quoi qu’il en soit, en arrivant à ma station, je m’en suis prise aux quelques mecs qui étaient là en braillant :
- Et c’est quoi, le problème, hein ? Dès qu’on passe les vingt ans et qu’on a le cul moins ferme ça vous intéresse plus, c’est ça ? Bande de porcs va ! Vous êtes vraiment tous que des gros vicelards dégénérés, mais moi je vous emmeeeeerde !
Et sur ce dernier bon mot j’ai vomi ma vinasse sur le quai (et sur mes chaussures neuves).
Ça tombait décidément assez bien que ma fille ne soit pas là et je pense que je vais continuer d’être féministe en théorie, mais laisser la pratique à la jeune génération qui semble s’en sortir pas trop mal dans la cour d’école.

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