Certains ont pu m'entendre, à l'occasion, évoquer avec plus ou moins
d'humour ou plus ou moins de conviction, selon les jours et les circonstances,
cette séduisante idée d'un monde dont on aurait éradiqué les hommes.
Avec un petit « h », oui. Je parle bien des représentants
masculins de l'espèce humaine et non de l’espèce humaine dans son ensemble. D’ailleurs
sachez – comme ça il n’y aura plus de doute – que je n’utilise plus, ou alors
seulement par accident, la dénomination « Homme » en lieu et place de
« humain » pour désigner les hommes et les femmes. Et aux messieurs
qui voudraient m’expliquer que c’est bon, tout le monde sait que « Homme
avec un grand H » ça inclut les femmes, demandez-vous si vous vous
sentiriez inclus si je vous disais que les Femmes naissent libres et égales en
droit. Et ne vous donnez pas la peine de répondre, hein, je m’en fous.
Bref.
Il m’arrive, donc, de défendre l’idée selon laquelle le monde ne se
porterait pas plus mal si on le débarrassait des hommes et si on élevait la
nouvelle génération d’enfants, disons, pour simplifier : à l’abris du
patriarcat.
Oui, je sais, not all men, ouin ouin, tout ça, mais ne vous fatiguez
pas à me le dire : d’une, ça me donnera encore plus envie de tous vous
faire disparaître et, de deux, pour être tout à fait honnête, je n’ai pas la
moindre idée de comment mettre cette idée en pratique et je suis, donc, parfaitement
inoffensive, alors pas la peine d’essayer de me raisonner.
Évidemment, quand il m’arrive d’envisager ce genre de scénario un peu radical, c’est rarement après une réunion pendant laquelle j’ai pu exposer mon travail, sans qu’un homme me coupe la parole pour répéter exactement ce que je venais de dire, mais avec cette fois l’approbation des autres mâles de l’assistance. Non, ces jours-là je… euh… je ne sais pas. Si ça arrive un jour, je vous expliquerai comment je me sens.
En revanche, quand j’apprends le nième décès d’une nième femme tuée par
un énième conjoint après une énième plainte non traitée, j’ai envie de tous
vous pendre par les couilles.
Quand j’apprends qu’une nouvelle loi votée par de vieux salopards va
limiter d’une manière ou d’une autre l’accès des femmes à l’IVG, j’ai envie d’allumer
des grands bûchers pour vous y jeter tous avec vos certitudes et votre supériorité
en carton.
Quand je pense à toutes ces femmes, passées, présentes, ici, ailleurs,
maltraitées, diminuées, violentées, empêchées, tuées, invisibilisées, violées, harcelées,
insultées… oui, j’ai envie de vous exterminer.
Et sans aller chercher trop loin, quand je transmets à ma fille les
consignes et bons réflexes à adopter en soirée, dans le métro, dans la rue ou
dans toutes les circonstances de la vie où elle se trouvera en présence de mâles
susceptibles de lui nuire, non seulement je veux vous exterminer, mais en plus
j’ai envie de vous faire souffrir avant. Mais ça c’est parce qu’on n’est pas
raisonnable quand on veut protéger ses enfants… Sinon, bien sûr, je sais que ce
n’est pas nécessaire de vous torturer d’abord.
Bref.
Je suis en colère.
Pas tout le temps, mais assez souvent.
Chaque fois que vous vous offusquez davantage de la façon dont les
femmes expriment leur colère que des raisons de cette colère, sachez que votre
interlocutrice, qu’elle ait déjà commencé à vous insulter ou qu’au contraire
elle prenne encore sur elle pour s’excuser, ménager votre susceptibilité et
modérer son propos, sachez, donc, qu’une part de sa foi en l’humanité vient de
s’éteindre en elle, qu’au minimum elle vous méprise et que, plus probablement
elle vous imagine en train de vous enfoncer, écrasé par le poids de vos
mecsplications, dans un océan de merde.
Chaque fois qu’une femme vous parle de son expérience de femme, quelle
qu’elle soit, et que vous l’interrompez pour dire quelque chose qui d’une
manière ou d’une autre ressemble à « moi, je… », sachez qu’elle a
peut-être l’air de vous écouter poliment, que vous lui trouvez peut-être un air
de béate admiration, mais que cette béatitude n’est due qu’à l’image mentale qu’elle
se fait de vos testicules dans son nouveau blender.
Chaque fois que vous parlez de la vie brisée des hommes abusivement dénoncés
par des femmes, sans jamais être capable d’en citer un seul exemple et sans la
moindre considération pour toutes les femmes qui ont souffert ou souffrent
encore des mauvais traitements que vous préférez ignorer, sachez que vous
nourrissez le rêve d’une vengeance sanguinaire jusque dans l’esprit de la plus
frêle et la plus douce des femmes.
Chaque fois qu’un homme prononce la phrase « Oh ! ça va, c’est
de l’humour » ou « Alors là, moi, on peut pas me reprocher d’être
sexiste, je suis super galant », sachez que quelque part dans le monde, un
bébé panda meurt.
Et vous avez remarqué ? Je ne parle même pas des harceleurs,
violeurs, tueurs… parce que je ne voudrais pas non plus me laisser submerger
par la colère et risquer de me radicaliser.
Bref.
Tout ça pour dire que je suis assez sensible aux questions féministes
et assez susceptible de m’agacer quand elles sont bafouées et elles le sont si
souvent que je me rends bien compte qu’il peut m’arriver, parfois, de me
laisser quelque peu déborder par des émotions un peu vives.
L’autre jour, par exemple, au bureau, je prends l’ascenseur.
Un étage plus bas, un type entre. Comme je suis entrée avant lui dans
l’ascenseur, j’étais donc au fond et lui devant la porte. Nous arrivons au rez-de-chaussée,
les portes s’ouvrent et là, au lieu de sortir, voilà que le type décide de
jouer… quoi, d’ailleurs ? Le gentleman ? Le chevalier servant ?
Je ne sais pas, mais toujours est-il qu’il est resté devant la porte, son bras
tendu pour empêcher qu’elle se referme, bouchant largement le passage en
attendant que, comme je suis une femme, je sorte la première.
Putain, mec ! Si tu barres la moitié du passage et que je ne peux
plus sortir sans me frotter, ça n’a rien d’agréable pour personne ! Et dans
quel monde tu crois que ça te grandit de ne pas sortir en premier quand c’est toi
qui es devant la porte ?
Franchement les gars, si vous prétendez vous montrer agréables auprès
des femmes, relisez les deux trois trucs que j’ai cités plus haut qui nous
donnent envie de vous crever les yeux et arrêtez de les faire, ce sera déjà
super, mais ne nous tenez pas la porte à trois kilomètres en nous obligeant à
courir et ne bloquez pas la putain de sortie de l’ascenseur !
C’est vrai, quoi, c’est agaçant.
Là, le type qui attendait donc que je sorte la première de ce fichu
ascenseur, c’était peut-être pas un mauvais bougre, dans le fond, mais cette
espèce de fierté à se montrer galant alors qu’il n’y a plus personne quand il s’agit
de soutenir une femme dans toutes les situations où elle en aurait vraiment
besoin, ça m’a mise hors de moi.
Du coup, en sortant, j’ai pris soin de lui écraser le pied, de lui
enfoncer le coude dans les côtes tout en m’excusant avec mon plus beau sourire
de dinde, avant de l’achever en m’affalant de tout mon poids sur lui en lui
broyant au passage les testicules avec mon genou.
Une fois sortie de l’ascenseur, avec le rire de gourdasse que je
suppose que les hommes galants imaginent que les femmes doivent avoir, je lui
ai dit « Haha ! Merci, mais qu’est-ce qu’il est étroit, cet ascenseur,
hein ? » et je suis partie en regardant la porte se refermer sur lui.
Injuste ? Oui, peut-être. C’est pour ça, messieurs, s’il vous
plaît, qu’il faut arrêter d’être des trous du cul, arrêter de nous faire chier
avec l’écriture inclusive et la longueur de nos jupes, arrêter de croire qu’il
y a un gène de la vaisselle et de la couche culotte que vous n’avez pas et
arrêter de faire semblant de pas comprendre le problème, parce que tout ce que
vous allez gagner c’est qu’on va finir par vraiment s’énerver et l’incident de
l’ascenseur risque de se reproduire encore et encore et vous pourrez pas dire
qu’on vous avait pas prévenus.
Pour celles et ceux qui s’intéresseraient vraiment au féminisme et
qui voudraient de la littérature un peu sérieuse sur le sujet, lisez « Sorcières » de Mona Chollet.
Si vous n’aimez pas lire – ou en complément – écoutez « Pas son genre » de Giulia Foïs.
Si vous préférez les notes de blog, allez voir celui de Crêpe Georgette et si votre truc c’est plutôt les réseaux sociaux, suivez les femmes
formidables qui ne lâchent rien avec une constance et une détermination qui
forcent le respect sut Twitter.
Enfin, un monde sans hommes ? Je suis loin d'être la seule à y avoir pensé... à regarder !
Enfin, un monde sans hommes ? Je suis loin d'être la seule à y avoir pensé... à regarder !