Ma fille est vraiment une gamine
formidable.
Alors oui, non, bien sûr, je ne
suis probablement pas parfaitement objective, après tout quelle mère pourrait
vraiment l’être, mais ce ne serait pas ma fille que je serais bien obligée quand
même d’admettre qu’elle est effectivement formidable.
Et si je mets de côté cette
objectivité que je m’efforce de conserver, j’ajouterai qu’en plus d’être intelligente,
drôle et gentille, elle est d’une beauté à couper le souffle.
Tout ça pour dire que quand elle
m’a montré, sur la photo de classe, le grand dadais dont elle s’est entichée, j’ai
cru un instant lui avoir trouvé son premier grand défaut : un vrai goût de
chiottes.
Certes, pour une femme adulte, il
est quasi-impossible de trouver séduisant un adolescent de quatorze ans, avec
ses grands bras tout maigres, ses boutons, sa voix déraillante et son allure d’invertébré…
Évidemment, les critères évoluent avec l’âge et je peux admettre que certains défauts
rédhibitoires pour une adulte soient acceptables pour une adolescente en quête
de son premier amour. Ou au moins de son premier baiser. Et il est vrai aussi
que le grand échalas était à peu près le seul à ne pas faire une tête de moins
que ma fille. Mais j’étais un peu déçue quand même.
Ma belle et grande fille immortalisée
sur ses premières photos d’amoureuse au bras de ce grand machin maigrelet ?
Bien sûr, je n’ai pas fait part
de mes réserves à ma fille et l’ai au contraire bombardée de questions sur l’heureux
élu : il est sympa ? il est drôle ? il est intelligent ? il
est intéressant ?
Il s’est avéré assez vite que pour
toute relation, ils n’avaient échangé que quelques mots, assez impersonnels, et
ri une fois ou deux à la même blague.
- Ben… va lui parler, non ?
- T’es folle ? J’oserais pas…
On n’en était donc encore qu’aux
pré-balbutiements. Pas de panique.
Ce coup de cœur allait pourtant
donner le ton des humeurs de ma fille quasiment au quotidien. Les jours où il
ne lui adressait pas la parole : méchante humeur le soir. Les jours où il
lui parlait : la fête à la maison. Les jours où il se montrait désagréable…
alors là… drame, pleurs, cris, insultes et tout ce qui peut pimenter une bonne
soirée mère-fille quand la mère voudrait que les devoirs soient faits et la
fille voudrait mourir plutôt que de retourner un jour au collège parce que
personne m’aimera jamais je vais finir toute seule la vie c’est de la merde je
veux pas finir comme toi (prends ça en passant)…
Bref. Ce grand couillon
disgracieux faisait, probablement sans le savoir, la pluie et le beau temps sur
nos soirées.
Jusqu’au jour où il a bloqué ma
petite fille chérie.
« Bloqué » au sens
jeune sur instagram du terme, c’est-à-dire qu’il empêchait ma fille de lui
envoyer des messages et de voir ce qu’il publiait. Alors que vraiment c’est
toujours tellement intéressant les publications d’un ado même pas rebelle sur
instagram… Mais là n’est pas le propos : ce blocage a fait énormément de
peine à mon bébé.
J’ai donc mené mon enquête :
- Vous vous êtes disputés ?
- On se parle pas !
- Tu as fait quoi que ce soit qu’il aurait pu mal prendre ?
- Non !
Enquête terminée : le grand
escogriffe s’avérait n’être qu’un petit con désireux de se prendre pour un dur
en usant d’un pauvre clic de faux-derche pour broyer le cœur d’une innocente
enfant dont le seul tort était d’être beaucoup trop bien pour lui. (Là, le
manque d’objectivité de la mère que je suis s’exprime peut-être un tout petit
peu).
Ne mesurant pas forcément la
gravité d’un blocage instagram, j’ai d’abord essayé de pointer la futilité de
la chose, puis la possible erreur de manipulation, puis le simple désintérêt
que devrait simplement susciter cet affront, mais c’était manifestement bien
trop sérieux pour la rationalité ou la relativité.
Ma formidable petite fille était
tout à la fois en rage et désespérée et sa totale incompréhension face à ce
rejet ne faisait qu’aggraver encore son état.
Alors j’ai fait ce que toute
bonne mère aurait fait à ma place : j’ai pourri le garçon. J’ai tout
attaqué. Son physique, son comportement, sa bêtise, son look, même ses copains,
tout. Je l’ai démonté.
Est-ce que j’en suis fière ?
Bof… c’était un peu facile, certes, mais où est le mal ? Le gamin n’était
pas là pour m’entendre, je ne l’ai pas humilié au milieu de la cour devant ses
potes…
Ai-je vraiment dit qu’un gamin
comme lui mériterait qu’on lui pète les dents pour lui faire ravaler son
sourire de tombeur de cour d’école ? Qu’il mériterait qu’on lui crève les
yeux pour l’empêcher de profiter de la formidable beauté de ma fille ?
Peut-être, oui. Peut-être.
Avais-je bien mesuré la colère de
ma fille quand je lui ai dit ça ?
Apparemment pas, non. Sa force
non plus, manifestement.
Et je suis désolée pour ce grand
borgne édenté, mais qu’est-ce qui lui a pris, aussi, à ce crétin, de la bloquer
sur instagram, hein ?